Les copistes au musée du Louvre
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 Les différentes sortes de copies

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MessageSujet: Les différentes sortes de copies   Les différentes sortes de copies Icon_minitimeMar 24 Fév - 15:18

Par thierry moutard-martin


*LA COPIE D'ARTISTE
Delacroix a copié Rubens. Rubens a copié Michel-Ange. Michel-Ange a copié des artistes de l’antiquité grecque et romaine… Pour apprendre leur métier et pour comprendre les travaux de ceux qui les avaient précédés, tous ces artistes ont utilisé le moyen privilégié de la copie.
On peut copier de plusieurs façons différentes. Tout dépend de l’objectif qu’on se fixe.
Le type de copie le plus fréquemment pratiqué par les artistes est en réalité un travail d’appropriation. Le copiste admire spécialement une œuvre. Il a besoin de la faire sienne avec quelque chose de plus tangible que le simple regard. La main et l’esprit doivent également être rassasiés. Le seul moyen d’évacuer cette fascination, c’est de copier le tableau incriminé. Plus que de copie, il s’agit d’interprétation, car pour faire sienne l’œuvre de l’autre, il faut alors lui insuffler des caractères formels qui en font définitivement une chose à soi, une chose de soi. Rubens copié par Delacroix doit devenir du Delacroix. Et cela fonctionne parce que la fascination qui est à l’origine de l’entreprise était déjà fondée sur une affinité particulière entre les deux œuvres du maître et de son copiste (ce n’est pas un hasard si Delacroix a choisi de copier Rubens plutôt que Léonard).
Les copies de ce type ne sont pas forcément faites avec la même technique ni sur des supports d’un format proche de l’original. La limite entre la part de création personnelle et l’apport du maître copié y est parfois difficile à déterminer. Elles sont du plus haut intérêt pour comprendre le reste de l’œuvre peint du copiste.
Pour un public peu instruit, elles ne sont « pas bonnes puisqu’on voit la différence avec l’original ». Beaucoup d’entre elles sont à l’usage privé du copiste. Elles ne se vendent que lorsque leur auteur est déjà connu par ailleurs. Leur valeur est jugée à l’aune des autres tableaux du même artiste.
Exemples:
le pape Velasquez copié par Bacon.
L'Annonciation du Titien copiée par G. Richter.
La copie d’artiste ne permet pas de connaître la technique employée par un artiste du passé, mais ce n’est pas son but. La connaissance qu’elle procure est d’un autre ordre, liée davantage à la partie intellectuelle du processus de création personnelle du copiste.


*LA COPIE SERVILE
C’est ainsi qu’on appelle la copie commerciale courante, et celle qui impressionne le plus ceux qui ne savent pas peindre. Quand le grand public parle de « copie de tableau », c’est à celle-ci qu’il pense. Souvent, les copies serviles ne sont pas exécutées par des artistes (qui n’y voient aucun intérêt), mais par des artisans spécialisés payés à la tâche au fur et à mesure des commandes. Les ateliers qui les embauchent vendent leur travail par correspondance, sur internet, sur catalogue… Certains d’entre eux sont d’ailleurs de véritables virtuoses, même si leurs gains ne sont pas à la hauteur du savoir-faire déployé!
Actuellement, c’est aussi un débouché pour des artistes contemporains formés dans des pays comme la Russie ou la Chine. Une tradition picturale rétrograde y a maintenu un apprentissage très académique, ce qui fait que ces peintres ont le savoir-faire pour ce type de travail. L’art contemporain n’y a pas forcément la clientèle initiée des pays riches comme les Etats-Unis. Du coup, les peintres y pratiquent en grande série la copie servile comme métier alimentaire, faute de pouvoir vivre d’une création plus personnelle. Leurs productions sont ensuite vendues en Europe ou en Amérique.
La nécessité de travailler vite pour être rentable oblige parfois les copistes à abréger le processus d’exécution. Les copies commerciales sont de qualité très variable, et les acheteurs qui connaissent les originaux de visu sont fréquemment déçus par les copies. Les Jocondes et les Dentellières vendues sur internet pour quelques centaines d’euros sont souvent lamentablement mal peintes. Le client ne les voit jamais en photo sur le site ; il n’y figure qu’une photo de l’original. Pour s’approcher au plus près de l’original, il faut une quantité et une qualité de travail qui impliquent des prix de vente élevés.
Habituellement les couleurs ne sont pas les bonnes car - à de rares exceptions près - les copistes travaillent d’après des photos et non dans les musées devant les originaux. Ils utilisent des matériaux actuels : pigments organiques modernes, couleurs fines en tubes, toiles blanches de qualité inférieure préenduites et achetées déjà tendues sur leurs châssis… Ils utilisent ces matériaux au plus simple (les pleines pâtes remplacent souvent les glacis : on rattrape l’apparence au vernissage) pour seulement reproduire l’apparence colorée actuelle du modèle tel qu’il figure dans les livres. Lors de leur vieillissement, ces copies s’éloignent de leurs modèles. Ce sont en quelque sorte des posters de luxe.
Il ne faut pas oublier que les tableaux qui sont actuellement dans les musées ont beaucoup changé depuis le moment où ils ont été peints. D’abord ils sont recouverts par des vernis protecteurs. Ceux-ci sont à peu près incolores quand ils viennent d’être posés. Ensuite, au fil des ans, ils deviennent de plus en plus jaunes, d’abord jaune clair, puis jaune d’or, franchement ambrés et enfin roux et brunâtres, rendant illisibles les parties sombres du tableau et ne laissant voir correctement que les parties claires peintes avec beaucoup de blanc (qui apparaît jaune). Selon le moment ou le spectateur arrive, deux ans ou quatre-vingts ans après le vernissage, il ne voit pas du tout le même tableau. Sur des tableaux comme ceux de Vermeer, qui reposent sur des rapports faisant intervenir des couleurs froides (outremer), cela détruit complètement l’harmonie colorée créée par le peintre. Ensuite, même lorsqu’un remplacement du vernis supprime le voile jaune, les couleurs fraîches que le public découvre avec émerveillement ne sont pas non plus celles d’origine. Si des pigments comme le vermillon ou le blanc de plomb ont peu changé, toutes les laques rouges passées en glacis vifs et profonds ont pâli et perdu leur vivacité. Les smalts bleus sont devenus transparents et bruns. L’azurite et les bleus de cuivre ont verdi. Les laques végétales jaunes sont devenues des couches d’huile transparente… Beaucoup de tableaux paraîtraient criards et saturés si on les voyait avec leurs couleurs d’origine.
Si un copiste employait de telles couleurs, le public trouverait ratée sa copie, parce qu’elle n’aurait pas la même apparence que le tableau en photo dans les livres. Les copistes sont donc bien obligés de copier l’apparence colorée actuelle des tableaux anciens. Le problème, c’est que le vieillissement des couleurs n’est pas constant. Si je reprends l’exemple d’un laque végétale jaune, elle va se faner et déteindre très rapidement au début ; puis au fur et à mesure qu’il ne reste presque plus rien de la couleur de départ, ce presque plus rien est aussi la partie la plus stable du colorant originel : il évolue donc beaucoup plus lentement. Au bout de quelques siècles, le tableau est arrivé à un état ou l’évolution des couleurs y est devenue peu perceptible.
La copie suit exactement la même courbe évolutive : son état va changer significativement pendant les premières décennies, puis de plus en plus doucement. Si elle ressemble déjà à l’original avant d’avoir subi son changement initial, elle n’y ressemblera plus du tout au bout de quelques années. On ne peut pas être et avoir été.
De ce qui vient d’être dit, il ressort que la copie servile n’est pas un procédé qui permet d’élucider la technique des peintres d’autrefois. Ce n'est pas son but.
Un cas particulier de copiste servile est celui qui travaille au musée devant les œuvres réelles. Ses copies seront de bien meilleure qualité que les copies commerciales courantes, parce qu’il a les vraies couleurs devant lui lors du travail, mais elles sont aussi beaucoup plus chères. Ce sont les seules copies serviles dignes d’intérêt pour ceux qui s’y connaissent.


*LA RECONSTITUTION TECHNIQUE
Dernier type de travail : la reconstitution. Cette fois-ci, il s’agit de refaire la même chose que ce que le peintre précédent avait fait. Cela signifie que la copie terminée doit ressembler non pas au tableau actuel mais à ce qu’il était quand il est sorti de l’atelier du maître. Ensuite, au fil de son vieillissement, la copie se rapprochera peu à peu du tableau original.
Il existe plusieurs degrés de fidélité dans le travail de reconstitution. Le plus simple consiste à trouver dans la palette actuelle des équivalents des pigments anciens, puis à suivre un processus d’exécution qui ressemble à ce qu’on en sait du tableau copié. Le plus sophistiqué serait de reconstituer exactement tous les matériaux devant entrer dans la composition des peintures. Il faudrait également fabriquer un support identique. L’artiste devrait avoir des outils de travail identiques à ceux qu’on employait à l’époque copiée, etc. En pratique, une reconstitution totale est impossible. Elle nous obligerait à reprendre toute la chaîne de production depuis la culture du lin à l’ancienne et l’extraction des minerais pour pigments jusqu’à l’organisation de l’atelier du peintre!
Les reconstitutions sont donc toujours des compromis. L’art de doser ces compromis ne peut être maîtrisé par le copiste que s’il possède de solides connaissances techniques sur le tableau à copier et sur les matériaux actuels dont il dispose. Un exemple représentatif est celui du blanc de plomb. Celui qui utilise ce pigment peut légitimement s’imaginer marcher dans les pas des peintres d’avant les années 1920 (date d’apparition des blancs de titane). Mais en réalité, cette classe de pigments blancs est complexe et variée. Les blancs de plomb actuels (granulométrie fine et homogène, morphologie en plaquettes hexagonales) n’ont plus grand-chose à voir avec ceux qu’on trouvait sur les palettes du XVIIe siècle (granulométrie hétérogène, morphologie nodulaire, présence d’impuretés fortement siccatives). Il faut savoir en tenir compte lors des travaux de copie ou de reconstitution.
Une démarche de reconstitution commence par la collecte de documents sur le tableau à copier. Le copiste doit effectuer un examen visuel approfondi, étudier soigneusement les données scientifiques recueillies par les conservateurs et les restaurateurs du tableau. Ensuite, ces données sont confrontées aux écrits techniques de l’époque : traités de peinture, livres de recettes, description de contemporains, etc. La comparaison de la matière du tableau, des résultats d’analyses et des sources d’époque est le seul moyen de formuler des hypothèses d’exécution plausibles. Le travail de copie est alors envisagé comme une démarche expérimentale de vérification de ces hypothèses. Dans certains cas précis, il permet même de comprendre pourquoi certains additifs ont été ajoutés à telle ou telle peinture. Certaines traces chimiques constatées mais non expliquées par les restaurateurs deviennent alors parfaitement interprétables, parce qu’on comprend quel est leur intérêt technique lors du travail de peinture. En effet, on se retrouve obligé de passer par les mêmes ajouts. L’exemple classique, c’est celui des traces de jaune d’œuf que certaines analyses mettent en évidence dans des couches à l’huile. Avec des peintures à l’huile modernes, cet ajout ne servirait à rien. Mais quiconque a déjà fabriqué une peinture par broyage manuel de pigments minéraux dans de l’huile de lin pure sait parfaitement qu’avec certains pigments, il faudra un correcteur rhéologique. Le jaune d’œuf employé selon une procédure adaptée – et en quantité minuscule – remplit impeccablement cette fonction.
Cette démarche de reconstitution confrontée aux analyses et aux sources est exactement celle que j’ai employée pour arriver aux conclusions sur les superpositions dans le frais chez Rubens (voir les pages concernées dans le présent ouvrage).
En plus de l’examen visuel, de la collecte des données scientifiques et de la connaissance des écrits d’époque, la reconstitution suppose également une bonne maîtrise artistique et un peu d’expérience de la part de l’expérimentateur. Elle ne peut être menée que de façon occasionnelle ou bien sur commande d’une institution de recherche, car elle n’est pas commercialement rentable (pour en vivre, il faudrait vendre les copies à des prix astronomiques).
Ce type d’approche est mené entre autres au Royaume-Uni, au Canada, aux Pays-Bas où il a permis de valider des hypothèses de travail précieuses. Les lecteurs intéressés pourront se reporter par exemple aux publications du programme H.A.R.T. (Historically Accurate Reconstructions Techniques). Comme je l’ai mentionné plus haut, il s’insère dans une nouvelle discipline : l’histoire des techniques de l’art ou « technologie de l’art ». Cette discipline n’est encore que peu reconnue en France où nos institutions n’ont ni la souplesse ni les moyens financiers pour créer de nouvelles filières d’enseignement autour de ce champ de connaissances. Il est probable que nous rattraperons notre retard dans les années qui viennent. Pour l’instant les choses reposent davantage sur des initiatives privées et/ou individuelles. Je tiens à signaler à ce sujet les travaux de Laurence de Viguerie au c2rmf. Bien maîtrisée, la reconstitution est le seul type de copie qui permette de vérifier des hypothèses sur la technique de peinture employée par un artiste du passé. Si elle est pratiquée en lien étroit avec les autres disciplines scientifiques, elle constitue un moyen de connaissance efficace des techniques picturales.
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